ASPECTS TRANSCULTURELS DU VIEILLISSEMENT ET PLACE DES PERSONNES AGEES IMMIGREES

Publication du 7 novembre 2017
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par Abigail LEFEBVRE, chargée de projet au Comité Départemental d’Education pour la Santé du Gard (CODEF 30).

Abigail LEFEBVRE, Licence en sociologie – master en développement social local – master en gérontologie- s’est intéressée à la problématique:  Comment améliorer la qualité de vie des personnes âgées immigrées, notamment atteintes de maladies neurodégénératives, et de leurs aidants…

Abigail a travaillé avec Omar SAMAOLI – Observatoire gérontologique des migrations en France (doctorat en anthropologie médicale) – a porté le projet Maladie d’Alzheimer et Interculturalité en 2015-2016.

Le CODEF 30 est une association 1901 grand public, qui œuvre à l’éducation pour la santé avec une approche de santé globale au sens défini par l’OMS, c’est-à-dire qui prend en compte l’accessibilité à la culture, aux droits, au lien social, la santé mentale…

Projet « Rendre les aînés acteurs de leur santé et de leur autonomie » dans les quartiers prioritaires – Prendre en main leur santé et faire des choses qui leur conviennent. L’association agit en soutien des politiques publiques, et des professionnels. Elle agit en direct (animer atelier santé sur territoires ruraux, isolés…) et a aussi une mission de documentation. (Cf. Réseau des CODES et CRES sur les territoires).

PREMIERE PARTIE : ETAT DES LIEUX

  1. La situation des immigrés vieillissants en France

2008 : 1,7 millions immigrés âgés de plus de 55 ans, dont 794 000 originaires de pays hors UE.

Nous ne parlerons pas des réfugiés et des primo arrivants.

Les problématiques qui se posent sont différentes selon le pays d’origine (Cf. distance culturelle). Dans le sud de la France, on trouve des espagnols, des personnes d’Afrique du Nord, issues de l’émigration de travail vers les années 60, avec une histoire difficile. Le regroupement familial des années 1990 a augmenté ces populations, puis a été freiné pour cause de coût social.

Aujourd’hui, c’est une population qui a vieilli, et les gouvernements ne l’ont pas anticipé. Les personnes qui sont restées ont construit leur vie dans un quartier, une ville. Certains n’ont jamais vécu avec femme et enfants. Leur accès au droit est limité (travail peu déclaré – petite retraite). La retraite est exportable, mais pas les aides sociales, d’où difficulté à repartir, ou séjours intermittents au pays et en France.

Ces personnes ont connu la précarité, d’où un écart de 10 pour atteindre l’âge de la perte d’autonomie. (73/75 ans au lieu de 82 ans pour le reste de la population). Beaucoup de maladies chroniques : près de 70% des séniors sont atteints du diabète dans certains quartiers.

Accès à la langue difficile : à leur arrivée, il n’a pas été prévu de leur apprendre le français. Situation familiale complexe : arrivée de la femme, femme restée au pays.

10% de ces personnes vivent seules. Beaucoup d’hommes. Femmes veuves, et maintenant femmes divorcées après 30/40 ans de mariage…

Habitat en ville ou à la campagne (moins cher). Personnes seules en Foyer ADOMA.

Donc, beaucoup de groupes différents :  50/60 ans : chômage donc difficultés psychiatriques. Plus âgés : difficultés physiques et isolement.

Vécu du parcours migratoire : le chômage est vécu comme un échec du parcours migratoire. Etre coincé en France et ne plus pouvoir aider sa famille au pays.

Identité : écart entre modernité et tradition. Attachement à un pays « mythique », sa tradition.

Rapport 2013-  BACHELAY-JACQUART: rapport de qualité qui propose 83 préconisations. Mais peu de choses ont abouti : Travail pour faciliter l’accès à la nationalité. Loi d’aide au retour (aide financière pour remplacer la perte des aides sociales et autres revenus) – très insuffisant financièrement et ne concerne que les personnes en foyer.

Aujourd’hui : urgence…les plus anciens vont mourir, mais il y aura toujours des immigrés.

Par rapport à la maladie d’Alzheimer et pathologies apparentées : pas de prise en charge ou très tardive. La tradition freine : il y a des déperditions : le généraliste oriente vers le neurologue…les malades n’y vont pas, ou ne vont pas aux consultations mémoire…

Renvoi vers le pays pour une thérapie traditionnelle. Vécu comme un déshonneur (même perception de la maladie qu’en France).

Epuisement des aidants (à domicile). Discours culpabilisant – déchire les familles – retrait, enfermement au domicile.

Question : quels facteurs socio-culturels et comment s’en saisir pour améliorer la relation, les conditions de vie ?

  1. Les freins à l’action

  • Le rapport au corps est très différent selon les cultures – la question du corps comme outil de travail (immigration de travail) – La maladie du MALPARTOUT…Quand le corps devient défaillant, c’est l’outil de travail qui part donc une partie de leur identité. Favorise l’écroulement. Ce phénomène existe aussi chez les hommes non immigrés.

Représentation du corps différente. Au Maghreb, on dit : « mon pt’it foie », au lieu

De : « mon p’tit cœur ».

La maladie est codée culturellement. Ici, la maladie d’AL. = démence. Si on ne voit rien de la maladie, l’interprétation s’installe (habitée par un djinn, croyances…) – cette approche existe aussi chez nous…

Symptômes : parfois la personne est imprégnée de religieux, lecture du coran…

Tout ce qui touche à la tête est connoté.

  • Parcours migratoire: colère, frustration/ la France et l’administration. D’où chez les hommes, perte de confiance dans les institutions – revendication, blocage. Les femmes ont un rapport au corps différent (ce n’est pas un pas outil de travail), et sont mieux socialisées.

Langue : personnes non comprises dans leur langue d’origine et analphabètes en français. Retour à la langue maternelle (à rapprocher du phénomène de retour à la langue bretonne) – Mélissa BARKAT-DEFRADAS, linguiste explique comment fonctionne le phénomène sur le plan neurologique.

  • Méfiance des institutions – mais le professionnel, quel qu’il soit, est censé représenter toutes les institutions… Panique car l’immigré ne comprend pas pourquoi le professionnel rencontré ne peut résoudre tous ces problèmes et doit s’adresser à des administrations différentes.
  • Place de l’aidant: il traduit. Mais que se passe-t-il dans la traduction ? le traducteur est un tiers non neutre, il appartient à la famille…

Le rapport à la famille : dans les sociétés traditionnelles, prise en charge collective de malade. Mais les aidants sont touchés par l’épuisement eux aussi…

Pression de la famille restée au pays : culpabilise l’aidant. Pourtant les EHPAD se développent au Maroc. La transition démographique va dans ce sens.

  • Racisme des deux côtés. Se définit par l’intention de la personne…Donc en travaillant sur les représentations mutuelles, on peut gérer.

Evolution très différente en fonction des familles. Ex : le respect du ramadan : ne pas manger ni boire du lever au coucher du soleil. Il existe des adaptations dans chaque culture. Mais s’il n’y a pas d’intervention (Iman par exemple) institutionnelle, le ramadan sera vécu durement….

  • La question des tests: n’existent pas encore en langue arabe, donc pas adaptés ni à la culture ni à la langue. Il y a d’autres moyens de diagnostiquer la maladie : observation, entretien, médecin qui parle la langue…
  • L’accueil en milieu hospitalier: ne correspond pas à ce qu’attend la personne – place de la famille…(ex : Un malade Rom avec 20 personnes qui veillent…) – En gériatrie, beaucoup d’amélioration, moins dans services plus techniques. On utilise beaucoup la compétence interculturelle des soignants présents.
  • Autres freins : Suivi des traitements en cas d’allers-retours au pays. Hébergement en structure : où ? Quelle structure ? Le concept d’EHPAD n’existe pas dans la représentation de ces personnes, et sont vus comme des hôpitaux…. Les rituels de fin de vie : de plus en plus, respect dans l’accompagnement dans les établissements. Mais encore des carences.

DEUXIEME PARTIE : PISTES DE REFLEXION POUR ACCOMPAGNER LES PERSONNES ….

Les dispositifs existants doivent être adaptés, car ces personnes restent invisibles.

  1. La relation

La peur existe chez les 2 parties : peur de ne pas être compris, peur de la réponse de l’autre.

La solution est de partir des besoins de la personne, de remettre la personne au centre de l’accompagnement. Ce qui remet en question la posture que l’on peut avoir.

Se recentrer sur la culture : respecter cette culture (préjugés, attentes…) = bientraitance culturelle.

Interculturalité : prendre en compte la culture de l’autre et être conscient de sa propre culture pour arriver à une négociation.

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On ne peut pas tout connaître, donc être dans un questionnement par rapport au positionnement de la personne, ses attentes, ses besoins…

Communication interculturelle

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Chacun a ses lunettes interculturelles. Mettre à plats nos lunettes culturelles pour avoir conscience de nos ethnocentrismes. Puis travailler avec l’autre sur ses représentations. Pour arriver à un compromis culturel.

Donc demander à la personne si ce qu’on propose lui convient : ex : les gants de latex peuvent être choquants, donc demander, expliquer l’usage…

Ex : une femme ne veut pas se faire ausculter par un homme… Et il n’y a qu’un homme médecin : on discute avec la personne, certains médecins auscultent sur les vêtements, jusqu’à trouver une solution…

Solution trouvée dans un hôpital : une position commune des médecins pour l’examen médical : « Tous les maris dehors ». Transfert vers les médecins femmes. Au bout de 6 mois, les hommes n’ont plus demandé à venir et les femmes ont continué à voir les médecins femmes. Mais la parole des femmes a changé, hors de la présence de leurs hommes.

En situation d’urgence, difficile…

Comment travailler sur le cadre ?  Plus il est souple, plus c’est facile…

Question de la compétence culturelle du professionnel : Solliciter des gens intégrés comme personnes ressources. Y aller avec humilité : qu’est-ce qui est bon pour eux ? Avoir dans les équipes des médecins immigrés. Ils ont vécu la séparation, d’où une meilleure compétence relationnelle. S’en servir comme modèle et pas seulement comme ressource…Un aspect à prendre en compte : le surinvestissement émotionnel, ou le ras le bol de celui qui en a marre d’être l’« arabe de service » (ce sont les mots d’une professionnelle).

Limite : On propose des outils écrits face à des personnes analphabètes : traduction en arabe littéraire alors qu’elles parlent un dialecte.

Gros enjeux de mutualisation autour des outils, pour le moment très disséminés, expérimental…

Importance de la coordination des personnels et des institutions pour faire face à des situations complexes.

  1. Construction d’échanges interprofessionnels 

Besoin de régulation, d’échanges de pratiques ; professionnels ressources au sein des structures. Il faut un cadre pour tout cela (EHPAD, domicile, etc). 2 possibilités :

  • Adapter ce qui existe pour l’ouvrir à ces populations (serait la piste adaptée)
  • Créer des structures spécialisées – pose des questions éthiques

Mettre ensemble des personnes d’un même village (en « grappes ») – ne marche pas toujours, regrouper dans des quartiers n’est pas génial non plus….

La réponse serait et/et et non et/ou.  Retour au parcours résidentiel. Ce que veut la personne et ce qu’offre le territoire.

Exemple : Liverpool a expérimenté que le regroupement fonctionne si on a affaire à un très petit nombre dans un même quartier.

Démarche communautaire – 2 aspects :

  • Action micro : mise en lien deux familles de même origine, dans un même hôpital ; l’une apporte sa caution à l’autre.
  • Démarche plus globale : travail avec la population pour être à l’écoute de ses besoins, de ses envies…. Passe par les associations de proximité. Il faut former ces associations. La rencontre avec les institutions permet de démêler des situations de blocage. Plus difficile de faire s’adapter les institutions.
  • Expérimentation dans l’Hérault : L’agent de développement local à l’intégration : ADLI – Porté par la DD de la cohésion sociale dans le Gard. Et spécialise PA.

Réflexion à avoir sur la prochaine génération, qui est déjà là, mais on n’en parle peu car notre culture est intégrationniste. En fait, on observe une évolution chez les jeunes aidants : des personnes qui ont subi la pression sociale, disent : « Moi je ne serai pas à la charge de mes enfants ».

Le Baluchonnage est une idée du Québec : il s’agit de permettre à l’aidant de partir quelques jours ou une semaine et que quelqu’un le remplace – Pour respecter le code du travail (durée du travail, repas), des tiers aidants professionnels se relaient. Ce qui se fait naturellement dans les familles qui le peuvent, est étendu à un réseau.

Références : Réseau Euro-Québec de Coopération autour de Baluchon Alzheimer® – Il existe une Charte Ethique pour le Baluchonnage.

Bibliographie 

lien utile :

Le kit IRIS (Interprofessionnel de Ressources en Interculturalité et en santé) Outil pédagogique qui vient d’être créé dans le Gard – Disponible sur le site : www.agisante-gard.org/a/821/ avec repères théoriques, exercices, expérimentations –  Une palette de supports à destination des professionnels pour améliorer leurs pratiques et leur donner des clefs pour agir en promotion pour la santé et auprès de publics en situation interculturelle. Il allie une partie d’éclairages sur les notions, les concepts, les méthodes avec un volet pratique comprenant des supports concrets : vidéos, photos, fiches de présentation d’actions et fiches activités.