LES REPRESENTATIONS SOCIALES DE LA DEMENCE : de l’alarmisme vers une image plus nuancée

Publication du 7 novembre 2017
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Par Marie-Claire GIARD, Assistante sociale, Master en Validation, personne de référence pour la démence dans les différentes structures du CPAS de Bruxelles-Woluwe-Saint Lambert.

Marie-Claire présente un rapport de la Fondation Roi Baudouin datant de 2009 et toujours d’actualité.

La Fondation est, en Belgique et en Europe, un acteur de changement et d’innovation au service de l’intérêt général et de la cohésion sociale. Elle a pour mission de contribuer à une société meilleure.

Le rapport présente une revue de littérature dans les domaines de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie sociale sur la question des représentations sociales de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées, ainsi que les principaux éléments dégagés de consultations menées auprès des malades, de leurs proches et des soignants.

L’identification et la compréhension des représentations sociales du syndrome de démence servent d’éclairage préalable à la mise en place d’interventions concrètes susceptibles d’améliorer la qualité de vie (au sens large) des patients, et la reconnaissance des malades en tant que sujets et citoyens à part entière.

Il s’agit bien d’apprivoiser la maladie d’Alzheimer (et les maladies apparentées) pour aboutir à des recommandations et des pistes d’action.

LES REPRESENTATIONS DE LA MALADIE 

Les représentations sociales de la maladie d’Alzheimer sont abordées selon différents angles de vue complémentaires : perspective politique (alarmisme), historique (émergence de la peur de la vieillesse), langagière (terminologie), point de vue d’acteurs sociaux spécifiques (malades, proches et soignants).

Le contexte sociétal décrit est celui d’un alarmisme face à la démence considérée comme un véritable défi de société à relever, tant aux plans médical, social, éthique que politique et économique, un « fléau sanitaire majeur » selon les termes de l’association Alzheimer Europe. Cependant d’autres comme le sociologue Jérôme Pélissier (2003) ou le psychiatre  Jean Maisondieu interrogent le bien-fondé de ce cri généralisé et appelant à la prudence dénoncent la facilité avec laquelle l’étiquette Alzheimer est posée. Désigner une maladie serait alors une manière de se dispenser d’interroger la place et le traitement social faits aux personnes âgées.

Le contexte historique décrit par Ballenger (2006) professeur d’histoire aux USA montre comment l’émergence de la peur de la démence est directement liée au vieillissement de la population. Les représentations de la sénilité vont à l’encontre du « self made man ». L’émergence de la gérontologie et la valorisation du vieillissement réussi à travers le maintien de la santé et de l’activité ont eu pour corolaires le rejet de la maladie et la dépendance. La perspective de la perte de l’esprit se fait plus effrayante que jamais.

A partir des années soixante-dix le développement des connaissances biomédicales conduisent à d’importants progrès quant à la compréhension du processus biologique à l’origine de la démence. Si cette évolution a mené au développement d’une véritable politique à l’égard de la maladie d’Alzheimer, elle a cependant eu tendance à privilégier la recherche médicale au détriment de la dispensation de soins.

Le rapport aborde ensuite les formes langagières par lesquelles on désigne la maladie et ceux qui en sont atteints, ainsi que les figures symboliques contenues dans ces représentations (métaphores) : banalisation du substantif « Alzheimer » entré dans le langage courant, différences de perception du mot démence, foisonnement d’expressions avec une connotation généralement négative, etc.

La tendance va à ce que l’ensemble des formes de syndromes démentiels quel que soient l’âge et les lésions soit renvoyé au terme « Maladie d’Alzheimer » à connotation plus médicale, non sans risque  de voir disparaitre la personne derrière la maladie.

Le terme « personne atteinte de démence » semble mieux reconnaitre que ces personnes ne sont pas totalement définies par elle (il s’agit d’une personne atteinte d’un déficit et non d’une personne déficitaire) et n’implique pas non plus que la plupart des personnes âgées sont ou deviendront cognitivement déficitaires.

Sur le plan symbolique la maladie d’Alzheimer, ainsi que la plupart des démences, renvoient très largement à des images en termes de perte et de déchéance sur lesquelles plane la menace de mort sociale et de déni d’humanité. C’est une maladie mystérieuse, sournoise et insidieuse, implacable et inexorable. C’est aussi une maladie sentence, une maladie injuste qui interroge sur sa signification dans la trajectoire des personnes qui en sont atteintes et de celle de leurs proches. C’est enfin une maladie honteuse, une maladie contagieuse tant les malades ont l’impression d’être objet d’évitements, d’une baisse des contacts sociaux du fait de la peur.

La personne atteinte n’est pas la seule à en souffrir, la maladie atteint l’ensemble de son entourage, celui-ci devenant à son tour victime en raison du fardeau ou des menaces qu’elle lui fait subir dans leurs aspirations à mener une vie saine et normale.

Les représentations de la maladie ont évolué à travers sa médicalisation contribuant jusqu’à un certain point à la dédramatiser et à déculpabiliser les malades et leurs familles par l’acquisition d’un « statut de malade » plus valorisé que celui de « vieillard » dans la société ; par la reconnaissance de la maladie d’Alzheimer comme une maladie organique, neurologique et non psychiatrique (« du cerveau et non de l’esprit »)

Les médias constituent les vecteurs les plus influents de représentations sociales et développent un point de vue événementiel et fragmentaire. Ils participent au discours social sur la maladie en présentant des images et des propos qui ne sont pas neutres et qui évoluent au fil des ans. Dans une étude à partir de quinze quotidiens néo-zélandais parus entre 1996 et 2000 il apparait que les personnes atteintes de démence sont le plus souvent présentées comme des « victimes » ou des personnes « privées de leur humanité essentielle » et même doublement victimes : de la maladie et  des institutions dont ils sont à la merci. Les articles consacrés aux personnalités publiques atteintes de démence font essentiellement référence à leur « mort sociale». Les articles de vulgarisation scientifique sont plus optimistes dans un discours biomédical qui donne de l’espoir (vaccin)

Les perceptions et le vécu des acteurs

Dans le discours des personnes atteintes de démence, ressortent les notions de maladie de l’esprit, de déraison, le concept de vieillesse souvent associée aux problèmes de mémoire, le refus de l’utilisation des étiquettes « démence »   et « Alzheimer » considérées comme effrayantes ou trop compliquées. Le constat fait est celui d’une dépendance accrue à l’égard d’autrui et d’une modification au niveau des relations avec les autres, un ressenti de perte d’identité, voire d’humanité de la part de leurs interlocuteurs.

Pour les proches il y a superposition entre la perception de la démence et celle de la vieillesse. Une autre image souvent associée à la démence est celle de perte d’identité. Les réactions émotionnelles et comportementales socialement inappropriées (par exemple, rage, agressivité, etc.) sont particulièrement mal vécues

Pour les soignants formels dans les études remontant à 2003-2005, c’est la présentation biomédicale qui domine avec des approches centrées sur la réalité plutôt que centrées sur la personne, à nuancer selon les professions et surtout le nombre de formations spécifiques proposées par l’institution. Au-delà de ces représentations il est noté cependant une quête de la part des soignants de continuer à percevoir la personne derrière le malade.

CONCEPTIONS DE LA DEMENCE ET PRATIQUES SOIGNANTES

Le rapport s’appuie sur les différents types d’approche analysées par Nathalie Rigaux en 1998 et qui distinguent :

  • l’approche dominante commune (ou non professionnelle) qui ne reconnait plus à la personne à cause de sa démence une pleine valeur humaine ; elle est infantilisée, fait l’objet de soins, est éventuellement  investie pour son passé et non pour ce qu’elle est devenue ;
  • l’approche dominante savante qui a pour projet, face à l’incurabilité de la maladie, de stimuler les capacités qu’a conservées de la personne pour la maintenir au meilleur niveau de fonctionnement possible ;
  • et une approche alternative telle qu’elle a été proposée par Louis PLOTON. La personne atteinte de démence est alors vue comme un partenaire qui perçoit son environnement, en est affecté et communique avec lui. L’enjeu du traitement n’est plus d’optimiser les performances mais de chercher à découvrir pour chaque personne et selon les moments ce qui peut contribuer à renforcer le goût, le sens qu’a pour elle l’existence, à tenter de lui procurer du plaisir et pour cela de favoriser le maintien des liens sociaux, l’appartenance à des groupes, l’investissement dans des occupations. Ceci permet au malade de développer une identité valorisante ainsi que de réduire son malaise.

Ainsi est questionnée la visée de normalisation des personnes atteintes de démence et la disqualification sous-jacente à cette approche : celles qui sont encore stimulables mais seulement pour la part restante et celles qui ne le sont plus… Ce n’est pas la reconnaissance d’une différence porteuse de sens qui fonde l’échange avec la personne, mais seulement la normalisation de celle-ci.

Cette lecture analytique pose en nouvelle perspective celle du rapport entre la qualité de vie et l’éthique de la relation.

Croiser les regards disciplinaires s’avère, face à ces questions, une nécessité scientifique et humaine.

PREJUGES ET STIGMATISATION

Les préjugés, stéréotypes négatifs et la stigmatisation reposent sur une généralisation erronée et rigide et sont des facteurs de comportement négatif envers un individu appartenant à une catégorie particulière.

Les croyances stéréotypées largement partagées sont extrêmement puissantes, au point d’amener finalement leurs cibles à confirmer leur mauvaise réputation. Le phénomène de la prédiction créatrice se produit quand les comportements d’un individu provoquent chez un deuxième individu la réaction à laquelle le premier s’attend. Autrement dit, les attentes de l’un modèlent les réponses de l’autre.

Ainsi est observée une différence de comportement physique et cognitif chez les patients selon que les praticiens affichent une distance sociale élevée (exprimée par l’absence de sourires et par un regard détourné) et ceux qui se montrent plus proches (sourient, se penchent en avant vers le patient et ont un regard intense adressé à ce dernier).

De plus au cours du vieillissement les stéréotypes projetés sur les autres vont à un moment donné s’appliquer à soi-même. Selon cette perspective, les personnes âgées payent ainsi, en quelque sorte, un double prix : elles sont soumises aux stigmatisations venant de la société et, en même temps, à une image négative d’elles-mêmes et ce, de façon inconsciente.  Une étude longitudinale montre même un effet sur la durée de vie.

Pour modifier les perceptions il est plus efficace d’intervenir sur les facteurs objectifs à l’origine de ces  perceptions en partant de situations témoins que sur les perceptions elles-mêmes.

VERS UN CHANGEMENT DE REGARD SUR LA DEMENCE

Les représentations sociales participent à la constitution de la pratique et sont le fruit de ces mêmes pratiques.

L’évolution des représentations de la vieillesse et de celles qui portent sur la démence (en particulier la maladie d’Alzheimer) laissent espérer une meilleure reconnaissance. L’annonce du diagnostic et l’affirmation du fait d’être malade présentent l’avantage de nouvelles perspectives de soulagement, de compréhension, d’accompagnement et de soins plus adaptés. La connaissance de la variabilité des situations dans leurs manifestations et leur évolution s’oppose à la représentation déficitaire homogénéisante.

L’introduction de la notion de citoyenneté permet d’élargir les préoccupations au-delà du soin vers des questions plus largement sociopolitiques et de considérer les personnes atteintes de démence non seulement comme des personnes, mais comme des personnes disposant de droits, devoirs et pouvoirs.

Partant de la diversité des récits, l’approche culturelle montre combien la perception quant à la nature et à l’évolution de la maladie peut différer sensiblement d’une culture à l’autre.

Mais, comprendre la diversité de ces expériences, renvoie également, au-delà des contextes locaux de pratiques, aux inépuisables débats philosophiques relatifs au soi (self), à l’identité, la subjectivité, la corporéité, la communication, le langage et la signification

CONCLUSION

La question de la reconnaissance est au cœur de la réflexion pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de démence et de leur entourage. il s’agit bien pour les personnes atteintes de répondre en continuité aux besoins d’être reconnus pour sa valeur, son amour et son rôle citoyen.

La reconnaissance de sa propre valeur est sûrement le premier objectif des personnes atteintes de démence car le constat de certaines incapacités et la crainte de se voir diminuées et disqualifiées vont à l’encontre de cette reconnaissance. Les proches aussi expriment leur désir de voir leur expertise et leurs aptitudes reconnues Elle est à la base de l’estime sociale.

La reconnaissance de l’amour

Reconnaître « la personne derrière le malade » confirme aux yeux des aidants que leur proche n’a pas complètement disparu sans tomber dans le piège d’une relation binaire indissociable.

La reconnaissance juridique

La jouissance des droits individuels met le sujet en mesure d’exprimer des exigences socialement recevables. La reconnaissance de la maladie permet l’ouverture de nouveaux droits pour la personne et pour ses proches aidants, manifestation d’une forme de respect social.

Ce qui donne aussi du sens à la coexistence de représentations différentes comme par exemple la reconnaissance du statut de « personne perdant la tête » et de « personne à part entière » en tant que ces représentations et ces revendications correspondent à des besoins de reconnaissance différents.

FONDATION ROI BAUDOUIN : Agir ensemble pour un monde meilleur

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