AUTONOMIE ET CAPABILITES

Publication du 9 décembre 2021
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2 octobre 2021 – Intervention de Paul CHOISNET, ancien directeur d’hôpital, président de FRANCE-ALZHEIMER MAYENNE, Teacher en Validation® selon Naomi FEIL.

Tout d’abord mes remerciements à l’APVAPA pour l’invitation à parler de ce thème…

CHANGER DE REGARD SUR LA NOTION D’AUTONOMIE

Une définition classique de l’autonomie

Le terme désigne la capacité d’une personne à assurer les actes de la vie quotidienne. La perte d’autonomie conduit à la dépendance. On l’observe dans les cas d’invalidité, chez les personnes âgées ou atteintes de pathologies, comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson. L’autonomie englobe les capacités intellectuelles, cognitives et motrices.

Le plus souvent nous parlons d’autonomie lorsque la personne l’a perdue ou est en processus de perte. Cela mot induit pour les intervenants aide, assistance et protection de la personne dans sa perte d’autonomie.

Changer de regard et tenter une autre définition :

  • Généralisons l’expérience de l’autonomie: les personnes valides seraient décrites comme « pas encore non autonomes et provisoirement aptes« . Cette façon de nous inclure dans la définition est centrale.
  • Dans cette perspective, l’apport des expériences des personnes en situation de handicap ou de maladie chronique quel qu’il soit,  est cruciale pour la société dans son ensemble. Il s’agit alors, ensemble, de réfléchir à nos scénarii de vie encore possibles à partir de nos capacités actuelles. C’est la notion aujourd’hui, mise à toutes les sauces, des mots INCLUSION ou INCLUSIVITE.

Cette perspective nous invite aussi à réinterroger les frontières entre autonomie et dépendance.

Aujourd’hui il est question de projet de vie ou projet personnalisé.

Or, les gens qui ont connu des bouleversements récents, importants dans leur vie, liés au handicap ou à la maladie sont à un moment de leur vie où il est justement extrêmement difficile de se projeter dans l’avenir : ils n’en ont ni les moyens, ni l’envie.

Le fait de leur demander d’écrire un projet de vie ou projet personnalisé peut même être ressenti comme quelque chose de violent parce que certains se disent : “Si je n’en écris pas, on ne va peut-être pas répondre positivement à mes demandes” ; et en même temps c’est très difficile de parler de l’avenir alors que, justement, l’avenir est en train de se dérober, d’être bouleversé.

Il me semble qu’en voulant mêler soutien personnalisé et efficacité gestionnaire autour de cet objet qu’est le projet, en voulant introduire du soutien, de l’empathie, de l’affection dans la gestion bureaucratique du handicap ou de la maladie, on aboutit globalement à faire peser sur des individus fragilisés des injonctions contradictoires. Et donc au mieux, pour les uns, c’est seulement une case bureaucratique de plus à remplir mais, pour d’autres, cela peut être aussi quelque chose de difficile et qui souligne les contradictions du champ du handicap ou de la maladie neuro évolutive par exemple. Michel Billé sociologue nous dit : « L’être est projet, mais évitons que le projet devienne programme pour vivre, que le programme ne devienne protocole à cocher avant de passer au suivant. »

UNE APPROCHE A PARTIR DE LA NOTION DE « CARE »

A partir de la nouvelle définition de l’autonomie, je vous propose une approche à partir de la notion de care, jumelée à une approche des capabilités. Ces notions sont apparues au début des années 2000 et dans le rapport de la mission ministérielle de 2011 : « Promouvoir la bientraitance dans les établissements », qui préconise « de tenir compte des capabilités du patient ou de l’usager. »

Un peu d’histoire …

  1. Début des années 70, la notion de « care » apparaît avec :
  2. Le refus du paternalisme et le centrage sur la personne dans les soins
  3. L’éthique de l’autonomie autour d’un patient isolé dans ses capacités d’autodétermination : les intervenants vont répondre à des besoins.
  4. Dans les années 80, le « care » c’est prendre soin, rejoindre la personne, en même temps que se développent :
  5. Une éthique féministe (lutte contre les discriminations, la hiérarchie du genre, au départ le care est confié principalement aux femmes et donc a moins de valeur…),
  6. Une éthique narrative. Citons Paul Ricoeur : « L’humain.e vulnérable a besoin pour se sentir exister d’avoir une idée cohérente de son corps, et le récit est l’une des voies lui permettant de progresser dans cette direction. Encore faut-il, pour y parvenir, trouver des pourvoyeuses et pourvoyeurs de care disposé.e.s à écouter, aptes à susciter en soi le désir de se raconter. ».  

Merci à François Blanchard d’avoir mis Paul Ricoeur dans mon quotidien éthique.

  • Un changement des pratiques soignantes avec les maladies chroniques et la collaboration attendue des soignants et des patients ( cf. :  l’irruption des associations de malades comme AIDS au début 90 dans les demandes de partenariats soignant-soigné ou l’inverse).

La notion de « care », inclue toutes les manières d’être et d’agir, c’est-à-dire à la fois :  

  • L’attention, une manière de porter son regard sur la vulnérabilité d’autrui et de ne pas s’en détourner,
  • Le souci ou la sollicitude, une manière d’être concerné, préoccupé par la vulnérabilité d’autrui. (Définition empruntée à Alain Smagghe, gériatre.)

Il s’agit de soigner, de prendre soin, d’aider et d’accompagner. C’est l’alliance indispensable de toutes ces attitudes et activités.

Et par un même mot c’est définir le travail à la fois des professionnels et des aidants proches et de le relier.

Les approches théoriques des capabilités

  • Amartya Sen (économiste indienne prix nobel en 1933), dans les pays émergeants, fait une analyse économique avec la notion « de ce que je vais faire de bon avec les biens, les ressources potentielles » rejoignant la liberté d’agir individuelle et l’égalité entre tous.
  • Martha Nussbaum (philosophe américaine née en 1947), dans les pays nantis, définit les capabilités comme un ensemble de possibilités de choisir et d’agir (ce que, par exemple,  peut ou ne peut pas faire une personne malade, dans la gêne matérielle et dépendante des autres). Martha Nussbaum identifie les capabilités qu’elle tient pour centrales au nombre de dix, parmi lesquelles la vie, la santé et l’intégrité du corps, mais aussi l’exercice des sens, de l’imagination et de la pensée, etc…) et qui, à son avis, constituent l’essentiel des droits humains.

La loi 2002 sur les consentements est apparue dans la foulée de ce mouvement…

Dans les capabilités, l’analyse des ressources sociales (parole ou non verbal, contact, altérité), financières (être dans un milieu autorisant), intellectuelles et cognitives (choisir et montrer la réceptivité, l’ouverture au monde), se fait sur trois critères :

Faibles                                    modérées                               Elevées

LES DIX CAPABILITES DE MARTHA NUSSBAUM FORMENT L’ESSENTIEL DES DROITS HUMAINS

  1. La vie : être capable de mener sa vie jusqu’au terme d’une vie humaine d’une longueur normale.

Quelle image du corps vieillissant ? à domicile et plus tard du corps immobile, amaigri, rétracté, dans les unités d’EHPAD et de soins de longue durée ?

Est-ce à nous de dire et décider de ce qu’est une vie normale ? Naomi Feil apporte des réponses quant à la parole verbale et/ou non verbale de la personne. Quels sont nos outils communs de repérage des ressources qui nous disent les ressentis, les consentements ?

Accepter de porter un regard sur la vulnérabilité d’autrui et d’en être préoccupé, un regard d’empathie comme si cette personne est potentiellement aimable par quelqu’un ?

Comment ne pas s’en détourner ? Les travaux d’Yves Gineste relate dans une étude déjà ancienne sur plus de 1000 personnes en USLD, que le temps de parole des soignants est en moyenne de 120 secondes par 24 heures.

Parfois la personne gémit, crie, frappe, se débat dans les soins de force, se recroqueville,  qu’entendons-nous ? Que lui répondons-nous ?

Comment entendre que cette personne qui ne meurt pas depuis si longtemps, malgré sa grande précarité, a sans doute quelque chose à dire, oui à dire sur elle de ce qu’elle a encore à vivre ou à mettre en ordre dans son existence, ou à nous dire pour qu’elle soit entendue par un autre humain témoin de sa vie et de son identité humaine dans ses choix de vie.

Comment lui reconnaître d’être autonome à vie ? De ne pas devenir un petit homme ou une petite dame.

  1. La santé du corps : être capable d’être en bonne santé et d’être convenablement nourri et logé.

Soigner et prendre soin. Tout commence par un changement de code, ou de logique. Comprendre que le médicament n’apportera pas, avant longtemps, la fin des souffrances et des angoisses. Rappelons-nous l’arrivée du Laroxyl début des années 1970 où l’on parlait de pilule du bonheur, puis plus tard le Prozac, puis plus tard…. Et ainsi de suite.

Il nous faut renoncer à une vision déficitaire de la maladie et à une lecture uniquement d’intervention pour soigner ou médicamenteuse.

Dans le même temps, tout se transforme : le malade n’est plus un zombie, un non-être, un mort vivant ; l’aidant familial n’est plus un saint ou un faisant proche ; le médecin n’est plus un faiseur de miracles de guérisons. Et pourtant nous entendons, nous attendons encore cela.

Les malades nous disent de plus en plus : « Ce que vous faites sans moi, vous le faites contre moi » pour citer Gandhi.

Le modèle du handicap selon l’OMS permettrait une meilleure action commune des soignants et des malades. Je cite : « Une maladie de type neurodégénératif, comme la maladie d’Alzheimer, engendre un handicap cognitif progressif (altération de la mémoire, des fonctions instrumentales comme le langage ou encore des fonctions exécutives comme la planification), dont la guérison est impossible et la stabilisation temporaire. L’acceptation et l’adaptation aux déficiences cognitives, aux limites d’activité et de participation, ainsi que la modification des caractéristiques sociales et physiques de l’environnement, redonneront aux résidents accès à l’estime de soi, à l’autonomie et à des relations sociales satisfaisantes. Ils permettront également aux professionnels d’alléger leur charge de travail tout en dégageant du sens, de la marge de manœuvre et de la créativité. »

Les bienfaits des petites unités de vie, d’un cadre de vie tel que Carpe Diem de Nicole Poirier démontre les incidences sur la qualité de vie et la forte diminution des thérapeutiques diverses et variées (vis-à-vis des maladies psychosomatiques, digestives par exemple, l’appétit, sur le sommeil, la continence et bien sûr les troubles du comportement).

L’approche par la Validation selon Naomi Feil permet à la personne là où elle en est, de grandir encore en s’autorisant.

La gestion de la maladie chronique, l’éducation thérapeutique, n’est plus un but suffisant (rechercher l’observance, l’interdiction des risques) mais un moyen possible pour vivre mieux sa maladie, être et se réaliser, s’accomplir dans son état présent.

Néanmoins les traitements sont pour de nombreuses personnes absolument nécessaires, je pense à la Maladie de Parkinson où les médicaments sont à distribuer avec une grande minutie dans le temps sans quoi l’inconfort physique est insupportable pour la personne et les professionnels vus comme des tortionnaires.

  1. L’intégrité du corps : être capable de se déplacer d’un endroit à l’autre, d’être à l’abri d’agressions physiques, y compris les agressions sexuelles et la violence domestique,

L’humanitude parle de vivre et vieillir debout. Et cela au sens propre comme au sens figuré, dans les actes et besoins de la vie quotidienne, toilette, déplacements, alimentation, en proscrivant l’utilisation de la force.

Une manière d’être concerné par la vulnérabilité d’autrui, c’est aussi repérer et partager les signes évocateurs de maltraitance physique, y compris les plus simples comme les douleurs provoquées par les soins, les changements de positions non réguliers, l’habillage et l’aspect de présentation de jour, de soir et de nuit qui influe directement sur le schéma corporel et l’image de soi envers les  autres et engendre des processus relationnels chez les proches comme l’éloignement, l’espacement des visites, l’enclenchement du deuil anticipé.

Dans la Validation le besoin d’intégrité c’est avoir la capacité de relier l’idéal de vie souhaité pour soi et la réalité pensée de son existence vécue. Ceci pour faire le bilan de sa vie et se ressentir en paix. Nous pouvons comprendre que pour les personnes atteintes de maladie neurodégénérative, c’est très difficile, d’où la variété des troubles présentés. L’approche relationnelle de la Validation permet d’accompagner la personne pour continuer son grandissement dans son accomplissement de vie.

  1. Les sens, l’imagination et la pensée : être capable d’utiliser ses sens, d’imaginer, de penser, de raisonner et de le faire de façon humaine.

Utiliser ses sens en bénéficiant entre autres de la liberté d’expression.

Imaginer, y compris créer dans le domaine des arts.

Ceci recouvre les mécanismes de la cognition :

Tout d’abord la perception : Capacité de saisir ou de reconnaître adéquatement ce qui est perçu par les sens, le stimulus pouvant être de nature auditive, visuelle, tactile, proprioceptive ou somato-sensorielle (sensations du corps).

Ensuite la mémorisation,  ce qui a déjà été enregistré par notre mémoire :

Nos souvenirs, ce sont les épisodes de notre vie que nous avons stockés de façon volontaire ou involontaire, notre mémoire épisodique,

Ce que nous avons appris comme connaissances par notre éducation (savoir-vivre), l’école (lecture, histoire, sciences) notre mémoire sémantique, les apprentissages (conduite, vélo), notre mémoire procédurale,

L’apprentissage : une élaboration gestuelle dirigée et mémorisée par les centres de commandement supérieur. Il en existe diverses variétés :

  • praxie idéomotrice (geste simple : bonjour, « chut », signe de croix, )
  • praxie idéatoire (geste complexe et séquentiel manipulation des couverts, retourner une crèpe, lacer ses chaussures ),
  • praxie constructive (dessin en 2 D ou 3 D)

et enfin le raisonnement :

Il y a absence de raisonnement lorsque le stimulus va entrainer une réponse immédiate avant d’analyser (reflexe d’ôter sa main si cela brûle ou pique). Lorsqu’il y a raisonnement :

  • 1er décodage des informations (vues, entendues ou touchées)  avec ce qui est déjà connu par la personne (mouvements, formes, couleurs, bruits) ;
  • 2ème décodage : intégrer en reconnaissant de quoi il s’agit (main ouverte, visage, ton de voix)
  • 3ème décodage : interpréter ce qui est perçu et adopter une action (pensée, parole ou geste) : analyser, juger, élaborer une pensée personnelle vis-à-vis du stimulus qui peut être traduit en code abstrait, on parle alors de représentations qui sont alors stockées dans la mémoire et qui peuvent être rappelées plus tard.

On parle alors d’intelligence (générer de la pensée nouvelle et créatrice)

On parle aussi de fonction symbolique : capacité d’évoquer un objet ou une personne même en son absence (dessin, image mentale, le langage)

Ce qui est atteint dans les maladies neurodégénératives

La mémoire est atteinte, en premier les souvenirs, puis avec des évolutions différentes suivant les personnes, la mémoire sémantique, le langage, et la mémoire procédurale avec les apprentissages.

Le raisonnement est aussi atteint dans la reconnaissance et le décodage pour analyser, juger, estimer et forger des représentations.

Ce qui ne l’est pas : la liberté de créer

La recherche a aujourd’hui démontré que la personne peut être créatrice en mots et textes à l’occasion d’ateliers d’écriture par exemple ou avec l’utilisation de la musique et du chant de composer et de se souvenir à distance. (cf. La publication d’Hervé Platel à Caen). Ceci peut donc être mis en œuvre dans des ateliers en EHPAD, dans les PASA et UHR, avec de nombreux publics. Les processus de groupe créant une énergie nouvelle pour chaque personne dynamisée par tous. Les actes d’autonomie dans la liberté de créer, d’imaginer du nouveau demeurent alors possibles.

  1. Les émotions : être capable de s’attacher à des choses et des gens autour de nous, de les aimer, de regretter leur absence, de se mettre en colère, etc. sans avoir peur et sans angoisser;

Une émotion : est une réaction soudaine de tout notre organisme basée sur des composants:

  • physiologiques (en rapport avec notre corps, changements du rythme cardiaque et de la tension artérielle, des rougeurs de la face, une accélération ou un ralentissement de la respiration),
    • spirituels (lié à notre ressenti métaphysique, joie, peur, colère, tristesse, mises en mots souvent par des résurgences),
    • comportementaux (nos actions devant par exemple la peur d’un chien, sont lisibles par tous, les émotions sont dites universelles mais pas ressenties de façon identique: un Japonais ressent de la colère, mais son expression est beaucoup plus subtile que chez un supporter dans un stade par exemple ; roter provoque souvent le dégoût dans les cultures occidentales, mais est vu comme un compliment en Chine.)

Exprimer ses émotions à un autre être humain et être entendu fait partie des besoins fondamentaux selon Maslow.

La Validation décrit que dans l’avancée en âge, de plus en situation de handicap ou de maladie chronique, l’expression des émotions s’active de façon plus intense dans ces périodes de mise en ordre de sa propre vie :

  • Résoudre les traces d’évènements passés, heureux ou tristes,
    • Revivre les plaisirs passés,    
    • Réactiver les souvenirs sensoriels qui y sont liés
    • Repousser le sentiment d’inutilité présent.
  1. La raison pratique : être capable de se former une conception du bien et de participer à une réflexion critique sur l’organisation de sa propre vie

Cette capabilité exige la protection de la liberté de conscience et de culte.

Se respecter dans ses propres valeurs forgées et les garder tout au long de sa vie :

  • La sagesse qui favorise l’usage de la connaissance,
  • Le courage pour atteindre les buts fixés, malgré les obstacles, la fierté,
  • L’humanité pour tendre vers les autres et leur venir en aide,
  • La justice pour une vie sociale harmonieuse, l’Honnêteté
  • La beauté, la droiture, la grandeur d’âme,
  • La dignité, le respect.

Avoir la possibilité de parler de ses valeurs de vie permet d’évoquer son niveau personnel de bonheur, les éléments de référence à sa propre satisfaction de vie, de renforcer son estime de soi, de se créer des pensés positives.

Dans les maladies neuro dégénératives, plus encore qu’avec l’âge, le temps se dilate au point de ne faire qu’un instant permanent sans passé ni futur où tout se confond et donner la possibilité de parler de ses émotions et de ses valeurs permet de se remettre perspective car « on imagine son passé quand on le raconte » nous dit Boris Cyrulnick.

Et cette identité narrative peut se faire par les mots, puis par les gestes, puis les musiques, les chants, puis les regards et la plus petite réponse reçue de ces appels à la relation donne de la sécurité. Notre culture, l’éducation font taire les grandes souffrances de la vie qui ressurgissent quand les repères de bonnes conduites sociales s’estompent ou que le besoin d’exprimer est intense.

  1. L’affiliation : être capable de vivre avec et pour les autres, de prendre part à différents types d’interactions sociales et de pouvoir faire preuve d’empathie; bénéficier du respect de soi et de la non-humiliation et être traité avec dignité de façon égale.

Il s’agit de pourvoir au développement et au maintien de ses compétences psychosociales, clairement décrites par l‘OMS dès 1986 :

« La capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est la capacité d’une personne à maintenir un état de bien‑être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement.

La compétence psychosociale joue un rôle important dans la promotion de la santé dans son acception large renvoyant au bien‑être physique, psychique et social :

  • Savoir résoudre des problèmes/savoir prendre des décisions,
  • Avoir une pensée créative/avoir une pensée critique,
  • Savoir communiquer efficacement/être habile dans les relations inter-personnelles,
  • Avoir conscience de soi/avoir de l’empathie,
  • Savoir réguler ses émotions/savoir gérer son stress. »

Les Compétences PsychoSociales sont reconnues comme un déterminant clé de la santé et du bien‑être, sur lequel il est possible d’intervenir efficacement.

Les Pays de Loire sont exemplaires sur ce thème en éducation de la santé à l‘école avec l’IREPS et le cartablecps.org, les travaux de Madame Williamson.

Qu’est-ce que l’affiliation, vis à vis de l’autonomie et de l’avancée en âge ?

  • Etre là et passer près de la personne (témoigner que la personne mérite que l’on lui porte intérêt, combattre l’isolement)
  • Ecouter plutôt que parler (pour la personne cela signifie : ce que j’ai à dire intéresse quelqu’un)
  • Proposer plutôt qu’imposer,
  • Valoriser contre dévaluer,
  • Etre chaleureux plutôt que professionnel dans la posture, la distance, le ton de voix plutôt bas et dans le domaine du ressenti,
  • Mettre de l’agenda (je peux revenir dans… et le faire ..)
  1. Les autres espèces : être capable de développer une attention pour et de vivre en relation avec les animaux, les plantes et le monde naturel.

Etre en lien avec le vivant et en prendre soin. D’où l’intérêt des animaux de compagnie et de leur présence tant à domicile qu’en établissement , car dans la rencontre, l’animal ne juge pas et il est dans la réciprocité sans interpréter.

Des études récentes ont aussi démontré les bienfaits de l’entretien des plantes de compagnie au quotidien dans les domiciles.

  1. Le jeu : être capable de rire, de jouer, de jouir de loisirs.

Le jeu participe de l’invention, de l’imaginaire, de la tactique, de la compétition dans un groupe.

Dans les maladies neurodégénératives, il est coutume d’admettre que l’intelligence est distribuée sous une nouvelle forme : face au déficit de l’intelligence nécessaire à la représentation de la réalité, c’est une intelligence sensorielle, plus naturelle, qui se développe, s’affine et devient le moyen de communication privilégié du résident. Travailler l’aménagement d’un espace est une nouvelle façon de communiquer avec la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, cela permet de redonner du sens.

La diversité des jeux permet de varier la nature de l’exercice selon l’envie du résident.

Quatre types de jeux sont proposés :

  • de règles, qui font appel à l’intelligence opératoire ;
  • Jeux symboliques, qui sollicitent l’intelligence représentative, objets du quotidien, bobines de fil ;
  • Jeux d’exercice, qui stimulent l’intelligence sensori-motrice (balles et ballons, parachute);
  • Jeux d’assemblage, qui entraînent l’intelligence transversale (puzzle, construction).
  1. Le contrôle sur son environnement : être capable de participer efficacement aux choix, de posséder et de jouir de droits de territoire.

Ceci concerne le territoire propre et le territoire partagé avec d’autres où la personne peut se sentir en sécurité et protégée. Ne plus être chez soi, ne plus gérer l’organisation du lieu va créer des comportements de deux types : le désir de partir ou le désir de bouleverser l’endroit non reconnu comme le sien, le mobilier, vider les armoires, aller dans les autres lieux, perdre la notion de territoire dédié à soi.

Il est nécessaire de permettre l’appropriation de la chambre et de son aménagement avec sa découverte, son occupation, découvrir physiquement sa géographie, faire plusieurs fois les parcours du lit aux toilettes, de la table à la porte, le placement du chevet côté connu à domicile.

Dans les locaux communs avoir une décoration à la fois au sol, sur les murs et aux plafonds, bien éclairés, des lieux de pause aux couleurs douces et unies. Dans son processus cognitif la personne malade est dans une démarche très différente qui est : perception sensorielle – impression ressentie – action engagée et cela en possible lien avec un autre lieu, dans un autre temps de son passé, une autre tranche de vie. Permettre de se poser dans un territoire personnel et accessible est primordial.

UN TRAVAIL D’EQUIPE ET DE LIEN SOCIAL

Agir en autonomie dans un environnement d’expression des capabilités pour un malade âgé cela passe nécessairement par la présence d’une équipe, c’est donc de « l’humain ». Il faut du personnel et des interlocuteurs, que ce soit à la maison, à l’hôpital ou en Ehpad.
Des médecins, mais aussi des infirmières, des psychologues, des ergothérapeutes, des kinés, des bénévoles, la présence des familles.
C’est tout ce lien social, la parole, l’échange, prendre le temps de rester assis à côté d’une personne, de lui tenir la main. Pour certaines personnes, parfois il n’est même pas nécessaire de parler, mais simplement d’être là.

Permettre de développer des projets d’âgé-e

Il s’agit de repérer, non pas seulement les incapacités, mais les capabilités, les scenarii de vie encore possibles à partir de l’ici et maintenant des personnes. De créer pour chacune une échelle des ressources.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’image de la vieillesse naufrage ou celle de la vieillesse idyllique. Il y a trop de modifications dans le corps, dans la place que donne la société aux âgés pour que ce ne soit pas un défi au quotidien. Et lorsque les capacités baissent en performance, la présence, l’aide et l’accompagnement peuvent prendre des formes non envahissantes et respectueuses.

La personne en difficulté peut encore développer des projets d’âgé de deux ordres (en exagérant un peu le trait) :

  • Explicites, si je puis dire, dans une démarche en conscience avec les recours aux professionnels ayant des compétences, les médecins, IDE, psychologues, directeurs, etc… dans des domaines que les personnes ignorent,
  • Implicites et là un peu moins en conscience dans le choix des liens tissés avec les AS, AMP, ASG, animateurs, ASH, dans des domaines où elles ont des similitudes de gestes, de touchers, d’activités de la vie quotidienne en restauration, linge et locaux, des propositions de distractions connues.

Ce sont ces rencontres qui vont permettre à la personne de se ressaisir, créer des mécanismes d’attachement, de lien dans des étapes aux conséquences douloureuses. C’est là que les professionnels sont des facilitateurs dans l’instant de la rencontre, de parole, de gestes d’apaisement. Ceci va lui permettre de s’aimer elle-même et de rester présente au monde avec ses capabilités.

Comment permettre des organisations pourvoyeuses d’autonomie ?

Que chaque acteur puisse être à la fois explicite et implicite suivant les moments de la journée et les actes et les processus dont il a la compétence.

Dans la relation d’aide et d’accompagnement il y a la formule d’Isa Demarcy que j’adore :

  • Directif dans le processus : ensemble d’actes ou de phénomènes qui progressent de façon active et organisée dans le temps. C’est le cadre fixé. Ex :  prodiguer un soin cutané.
  • Non directif dans le contenu : je suis attentif à ce que dis la personne, son langage, ses phrases répétées, le ton, sa posture corporelle, ses gestes, son dynamisme. L’intervenant accompagne. L’intervenant personnalise, adapte le contenu en concertant, coordonnant, coopérant dans l’exécution.

Dans la recherche du sens : quelle cohérence se dégage, quelle signification, qu’est-ce qui a le plus d’importance et de valeur ici et maintenant pour la personne ? Capabilités de santé, d’intégrité, d’affiliation, le sens la pensée, etc…

Pour conclure, un conte dont je ne connais pas l’auteur : LE POT FÊLE

Une vieille dame chinoise possédait deux grands pots, chacun suspendu au bout d’une perche qu’elle transportait, appuyée derrière son cou.

Un des pots était fêlé, alors que l’autre pot était en parfait état et rapportait toujours sa pleine ration d’eau. À la fin de la longue marche du ruisseau vers la maison, le pot fêlé lui, n’était plus qu’à moitié rempli d’eau.

Tout ceci se déroula quotidiennement pendant deux années complètes, alors que la vieille dame ne rapportait chez elle qu’un pot et demi d’eau.

Bien sûr, le pot intact était très fier de ses accomplissements. Mais le pauvre pot fêlé lui, avait honte de ses propres imperfections, et se sentait triste, car il ne pouvait faire que la moitié du travail pour lequel il avait été créé.

Après deux années de ce qu’il percevait comme un échec, il s’adressa un jour à la vieille dame, alors qu’ils étaient près du ruisseau. « J’ai honte de moi-même, parce que la fêlure sur mon côté laisse l’eau s’échapper tout le long du chemin lors du retour vers la maison. »

La vieille dame sourit : « As-tu remarqué qu’il y a des fleurs sur ton côté du chemin, et qu’il n’y en a pas de l’autre côté ? J’ai toujours su à propos de ta fêlure, donc j’ai semé des graines de fleurs de ton côté du chemin, et chaque jour, lors du retour à la maison, tu les arrosais.

Pendant deux ans, j’ai pu ainsi cueillir de superbes fleurs pour décorer la table. Sans toi, étant simplement tel que tu es, il n’aurait pu y avoir cette beauté pour agrémenter la nature et la maison. »

Bibliographie

« Capabilités: Comment créer les conditions d’un monde plus juste »,Éditeur ‏ : ‎ Climats (5 septembre 2012), de Martha Nussbaum (Auteur), Sophie Chavel (Traduction) 

« Voies et voix du handicap » de Marlène Jouan ouvrage Coll. Editions PUG

« Vulnérabilités et autonomie dans la pensée de Martha Nussbaum »par Pierre Goldstein editions Philosophies PUF

Ricoeur, Paul, « La souffrance n’est pas la douleur », in Claire Marin et Nathalie Zaccaï-Reyners (dir.), Souffrance et douleur. Autour de Paul Ricoeur, Paris, PUF, 2013, p. 13-33 (p. 21-22).

Rapport de la mission ministérielle : « Promouvoir la bientraitance dans les établissements de santé » Présenté par : Michelle BRESSAND, Infirmière Diplômée d’État, Conseillère Générale des Établissements de Santé, Martine CHRIQUI-REINECKE, Psychologue Clinicienne, Consultante-Conseil, Michel SCHMITT, Radiologue Hospitalier, Chef de Service. Avec le concours : des élèves directeurs de l’association EHESP Conseil,  Remis à Monsieur Xavier Bertrand, Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, Janvier 2011.