LE VIEILLISSEMENT DANS NOTRE SOCIETE

Publication du 30 octobre 2020
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Intervention de Bernard ENNUYER

Bernard Ennuyer est ingénieur de formation initiale, docteur en sociologie et habilité à diriger des recherches. Il est directeur, depuis trente ans, d’une association loi 1901 d’aide et de soins à domicile dans le XVIIe arrondissement de Paris.
Bernard est un ami de François Blanchard depuis 1978 – Ils ont partagé de nombreuses aventures. Et de nombreux sujets de réflexion:   Qu’est-ce que vieillir dans notre société? Comment la société traite-t-elle ses vieux? Qu’est-ce que ce phénomène du vieillissement? L’âgisme dans notre société? Qu’est-ce qu’une politique gérontologique – Faut-il en faire une? Qu’est-ce qu’une politique de santé pour les vieux?

B. fut d’abord ingénieur, spécialiste des échanges mécaniques et thermiques Il a même travaillé à Saclay dans le nucléaire . En mai 68, il répond à un appel de bénévoles lancé par Les Petits Frères des Pauvres dans « Le Figaro » [« Les p’tits frères des pauvres étaient des aristo, qui se rencontraient dans les chasses à courre, et emmenaient des vieux en vacances. Ils gagnaient leur paradis en s’occupant des vieux ».]. B. devient garçon de course et change d’univers.
En 69-70, B. devient responsable des hospices dans toute la région parisienne. A l’époque, c’est l’apocalypse : salles communes etc. François se souvient qu’aide-soignant de nuit, il bâillonnait et attachait les petits vieux dans leur lit ! Ainsi, ils ne dérangeaient pas les autres et ne se sauvaient pas…
En 68, B. met en place une caisse complémentaire (qui deviendra MALAKOFF MEDERIC), et un service de soins à domicile. 
En 70, rencontre Anne-Marie GUILLEMARD, jeune docteur (Thèse : La retraite, une mort sociale, avec Alain Touraine). Découvre la sociologie, fait un doctorat, en essayant de comprendre comment les gens entrent en EHPAD alors qu’ils ne le souhaitent pas.
En 74, B. s’engage comme enquêteur dans un service d’aide à domicile dans le 19ème. Les SSAD explosent en 70. Directeur d’un SSAD et d’un SSIAD appelés « Les amis » pendant 18 ans. Il a créée ce service qui à la fin comptait 400 employés.
 Par un ami commun, B. et F. intègrent un groupe de recherche dirigé par J C HENRARD et Alain COLVEZ qui travaille sur : Qu’est-ce que ça veut dire de mesurer le vieillissement?
B a passé une habilitation HDR à la Sorbonne qui lui permet d’enseigner à l’Université …… Il enseigne encore actuellement dans un laboratoire d’Éthique médicale de l’université à Lille- auquel est rattachée une équipe médicale : master I et II, doctorants, 20 internes : psychiatrie, oncologie, …

On y réfléchit à des questions de ce type : Les questions éthiques n’ont pas de réponses évidentes … faut-il poursuivre la dialyse avec des gens déments ? Faut-il interrompre une grossesse quand on sait que l’enfant sera gravement handicapé ? … 

Hier et aujourd’hui, une constante : en vieillissant, les gens deviennent des objets qui n’ont plus de droits.

Le Rapport Laroque (janvier 62) propose une Politique de la vieillesse. En 68, dans un plan 6, avec un programme finalisé, il est clairement affirmé que l’hébergement des vieillards doit rester une exception. Les gens veulent rester chez eux.   Or aujourd’hui encore, 80 à 90% des vieux ne souhaitent pas entrer en EHPAD et n’y consentent pas.
Plus tard, Pierre Laroque dira : « Je n’aurais pas dû faire une politique vieillesse, j’aurais dû faire une politique d’égalité sociale. Car, la vieillesse est un résultat, pas un état. ». Aujourd’hui la question revient : pourquoi faut-il une politique vieillesse ?
Les vieillards dépendants sont des relégués. 
La vieillesse est le résultat d’un parcours social dans un système de société. Voir le livre de Norbert Elias : « la société des individus ». Pour Elias, les individus sont liés les uns aux autres par des liens de dépendance réciproque qui constituent la société même. C’est sous l’effet de cette imbrication que les comportements se sont modifiés au cours des siècles. 
La dépendance, c’est la condition humaine. Lire aussi la thèse sur les malentendus de la dépendance – « Le buveur et l’amoureux »- Albert MEMMI.
Mais le terme de dépendance aujourd’hui désigne le stigmate des vieux, et non plus la dépendance addictive,  « une dimension essentialiste de la dépendance », dit Alline.

Pourquoi la France a-t-elle une vision catastrophique du vieillissement ?

Et cela depuis le XVII, XVIIIème siècle, où le nombre de personnes âgées a commencé à augmenter. – Ex : dans son essai « La vieillesse » (1970), Beauvoir en a une vision très pessimiste.

  • La notion de vieillesse a commencé avec la retraite. Avant, espérance de vie faible, les gens en bonne santé continuent à bosser jusqu’à leur mort.
  • Aujourd’hui : L’espérance de vie d’une fille qui naît aujourd’hui est de 85,6 ans. Celle d’un garçon est de 79,7 ans.
  • L’espérance de vie des cadres sup est de 7 ans supérieure à celle des ouvriers. (Source INED)
  • 5% des gens les plus riches vivent 13 ans de plus que les 5% les plus pauvres –(Source INSEE)

L’espérance de vie se modifie en fonction des évènements. Elle est aléatoire. Nous avons la chance de vivre dans une période où l’espérance de vie a augmenté de 30 ans en 1 siècle. davantage que lors des  5000 ans précédents !  A la révolution française, elle était de 28 ans. 30 à 40% des enfants décédaient dans leur première année de vie. La diminution de la mortalité infantile est d’abord la principale cause de gain d’espérance de vie. Mais à partir des années 70, les gains d’espérance de vie après 60 ans ne se font plus sur la baisse de mortalité infantile (au plus bas), mais sur le fait que les vieux vivent plus longtemps.

Modifications prévisionnelles de la pyramide des âges de la France entre 2005 et 2030.

En France, les plus de 60 ans représentaient 20% de la population en 200
Ils représenteront entre 33 et 38% en 2025, en fonction des hypothèses sur le taux de fécondité.
En France, une dizaine de super centenaires ont plus de 110 ans. – D’après le démographe Jean-Marie Robin, «Il semble qu’après 110 ans les risques de mourir ralentissent. Comme si l’organisme, devenu vieux, se stabilisait. La survie ne dépendant plus que des conditions de protection».
Obésité, pollution et tabagisme des femmes risquent de faire évoluer ces chiffres à la baisse.
L’augmentation des inégalités sociales fait régresser l’espérance de vie.

Une vision très déficitaire de la vieillesse à laquelle les médecins contribuent. 

Les vieux qui ne vont pas bien sont une minorité.

L’idée à combattre : Aller vers la vieillesse = aller vers la dégradation.
D’après Alain Colvez, épidémiologiste de l’INSERM : Parmi les 60 ans et plus qui sont 17 millions,  8% ont des difficultés individuelles (1,3 millions) classés en GIR 4. Donc, 80% des PA ne sont pas en incapacité majeure.
En GIR 1, 2, 3, sont classées 450 000 personnes, autant à domicile qu’en hébergement.  
N.B. La grille AGIRR est en dehors de son domaine de validation, car c’est un outil conçu pour du collectif et on l’utilise en analyse individuelle.

Et si on écoutait les personnes âgées ?

1983 : Assises nationales des retraités : on a demandé aux gens ce qu’ils voulaient. Le rapport Libault, fondé sur 400 000 personnes interrogées à l’échelon national, dit que les gens ne veulent pas entrer en EHPAD. Mais ils ne veulent pas forcément rester chez eux. Il y a un effet repoussoir de  « l’hospice », alors que beaucoup d’efforts sont faits pour que ce soit des lieux de vie. 
Mais, on ne tient pas compte de cet avis …. 
Notre probabilité d’entrer en EHPAD est faible : 4 personnes sur 5 n’iront jamais.
Hélas, on assiste à une concentration capitalistique des EHPAD… Le vocabulaire en témoigne : la « silveréconomie » par exemple, qui consiste à vendre aux gens des choses dont ils n’ont pas besoin : investir sur les vieux, c’est aujourd’hui la poule aux œufs d’or… Voir aussi les salons des retraités…
Mais il y a des choses très intéressantes qui se font dans ce contexte : Projet de Leroy Merlin sur Habitat et Economie. LM a compris que pour vendre,  il faut que les équipements proposés ne soient pas stigmatisants. Les ergothérapeutes ont apporté une autre vision du domicile : acheter des équipements chez Leroy Merlin est moins stigmatisant que d’acheter des équipements “médicalisés” dans une pharmacie !

Le mouvement des EHPAD est tiré par les groupes privés, par la volonté des gouvernements successifs depuis SARKOZY qui les privilégient – et par ailleurs :  le secteur associatif de l’aide à domicile ne se bouge pas.
Donc, bien que les gens veuillent rester chez eux, l’argent va aux EHPAD (1 pour 7 d’aide financière). Et les gens s’organisent eux-mêmes pour rester à domicile.

Le 5ème risque : « le long terme care » : un échec en France

L’indemnisation pour les difficultés ne devrait pas être liée à l’âge. On n’est pas arrivé à introduire ce concept, malgré Chirac qui s’est battu pour le handicap (sa fille) : « Les vieux, c’est normal qu’ils aillent mal, et les enfants n’ont qu’à s’en occuper. »
En France, avant 60 ans, on dépend du régime du handicap pour la prise en charge. (MDPH)
Après 60 ans , on franchit un seuil qui fait entrer dans le régime de la dépendance. (APA) Financièrement beaucoup moins favorable !
Qui va distribuer la prestation dépendance ? Ce seront les départements (sous la pression du Sénat, qui les représente en nombre)… On crée la PSD (ancêtre de l’APA), jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que c’est ruineux pour les départements et inégalitaire pour les habitants. Car la départementalisation française héritée de Napoléon est totalement inadaptée aujourd’hui pour répondre à ces besoins.
Qui d’autre ? Mettre les prestations sociales sous la responsabilité des ARS ou de la SECU,
Aujourd’hui, le gigantisme des régions, la centralisation, la rémunération des fonctionnaires (primes) liée aux économies budgétaires, donnent peu d’espoir d’améliorer le système.