Par François BALTA, médecin psychiatre, thérapeute familial, formateur à l’approche systémique coopérative – Auteur de plusieurs ouvrages – www.frbalta.fr
François BALTA présente une manière d’approcher les questions autour de la dégénérescence neuro-cérébrale, à partir de deux points :
- Une idée de l’identité et de la mémoire
- Comment ces aspects peuvent être pensés en termes de processus relationnel, notamment dans l’approche soignante.
Il n’est pas spécialiste de la maladie d’Alzheimer. Il pose un autre regard sur le patient atteint de maladie d’Alzheimer et son entourage.
François BALTA situe le thème de la journée dans une approche systémique qui s’intéresse « aux relations entre les individus plutôt qu’aux individus eux-mêmes. Cette conception relationnelle de la vie modifie notre manière de nous impliquer, depuis l’acte quotidien le plus simple, jusqu’à la dimension politique la plus globale. Nous pouvons qualifier cette approche de systémique car elle s’intéresse fondamentalement à ce que nous construisons ensemble, au-delà de nos intentions individuelles, simplement parce que nous sommes reliés les uns aux autres bien au-delà de ce dont nous sommes conscients ». Extrait de « Moi, toi, nous…Petit traité des influences réciproques » François Balta et Gérard Szymanski. Interéditions-2012.
L’identité perçue comme processus relationnel.
Toute personne est un ensemble d’éléments
avec des contradictions fortes qu’on ne peut pas éliminer, mais seulement équilibrer.
On est construit sur des éléments contradictoires : inspir et expir ne sont pas ennemis de naissance, mais comment penser les deux en même temps ?
Dans la dimension systémique, il y a une multitude d’approches en fonction de contextes : un mouvement qui apparaît comme un processus circulaire (ou récursif) d’influences réciproques.
- En 1, A choisit d’agir d’une certaine manière.
- En 2, B perçoit ce qu’il veut/ce qu’il peut de l’action de A.
- En 3, B « décide » d’une action en retour.
- En 4, il appartient à A de traiter, comprendre, interpréter ce feed-back avant de… 1 à nouveau
Chacun a une vision du même système, mais de son point de vue, donc différente. L’observateur influe. Il est contenu dans son observation. L’observation parle de l’observateur.
Il y a réciprocité des échanges : la question de la cause initiale n’est plus si importante puisque les éléments n’existent que par leur relation. Chacun peut être considéré comme la « cause » de l’autre !
Il n’y a pas une réponse unique possible pour définir l’Identité, puisqu’elle se construit dans une multiplicité de contextes, qui sont eux-mêmes influencés par d’autres (méta)contextes etc.
On définira donc tout « objet » (un problème, une personne, …) comme le résultat d’un processus dont la complexité permet à un observateur donné de lui donner un sens particulier en fonction de sa manière de comprendre le monde.
Ainsi des éléments hétérogènes s’influencent-ils les uns autres pour construire une situation dont on sait qu’elle est plus que la somme de ses parties. Dans un système complexe chaque élément ne peut exprimer qu’une toute petite partie de (tout) ce qu’il est. Il est donc plus que ce qu’il est dans le système. Si le contexte change, apparaîtront des ressources qui n’apparaissaient pas auparavant sans pour autant qu’elles soient « créées » par ce changement qui n’en est que la condition de possibilité.
François BALTA nous conduit alors à découvrir :
- comment mon identité s’organise autour de mes croyances construites à l’occasion des échanges entre moi et les autres.
- comment ces croyances acquises deviennent contraignantes, s’autovérifiant, leur stabilité étant rassurante (l’inconnu angoisse).
- comment je sollicite les personnes autour de moi pour qu’elles valident mes croyances, avec le risque de confirmer ainsi des croyances « négatives », et d’augmenter les enchères. Ainsi dans le couple : « je crois que je ne suis pas aimable…Alors prouve moi que tu m’aimes… »
- comment, pour remettre en question une croyance, il faut un cataclysme émotionnel qui d’un seul coup fait qu’une autre réalité devient convaincante. Créer des conditions qui font qu’une personne va pouvoir modifier son expérience et donc de comment elle se voit (ou voit le monde), ce qui va à son tour modifier ses manières de faire… Puisqu’en tant qu’accompagnant, je suis dans la boucle, je vais essayer de voir les choses autrement, de manière à induire la possibilité de réponses nouvelles.
Il est souvent plus difficile de quitter une conviction dommageable qu’une conviction positive.
Le processus d’identité est ainsi un équilibre dynamique. Il est stable dans un système permanent où je me donne l’occasion de vérifier que j’ai raison de penser ce que je pense.
Quand la personne perd ses points de repères, elle rejoint le mode de fonctionnement de l’enfant, qui ne sait pas encore qui il est. C’est le monde qui lui donne ses repères, il se découvre en découvrant le monde. Il ne peut que difficilement relativiser son interprétation des évènements… Ainsi se pose la question de l’identité dans le cas de la maladie d’Alzheimer.
Et dans le même temps, comme dans toute situation, je suis obligatoirement impliqué, j’ai toujours aussi une marge d’influence, à partir du moment où je m’inclue dans le système. Je ne suis pas tout puissant, mais pas totalement impuissant. Je retrouve une possibilité d’action que je n’ai plus si l’objet est défini en tant que « patient Alzheimer » et c’est tout. Il n’y aurait plus alors comme solution que de le supprimer en tant que personne (mise à l’écart) pour supprimer le problème.
Comportement, émotions, langage sont inscrits dans le processus relationnel.
– Le comportement : c’est ce qu’on montre aux autres et qui influence l’autre.
Nos comportements sont soutenus par nos ressentis (émotions) et nos pensées, nos intentions.
Nos comportements se tricotent avec le retour de l’environnement : je choisis de faire ou de ne pas faire en fonction de l’anticipation imaginaire des réponses possibles. Quand les gens ont des troubles neurocognitifs, c’est leur trouble qui va organiser la relation. Si le cadre de référence est trop étroit pour contenir le trouble, je construis un mécanisme de défense. La première réaction peut être la mise à l’écart, l’indifférence ; mais est-ce adapté ?
Dans le cadre professionnel, il peut y avoir des consignes sur le comportement, une exigence comportementale comme « même énervé, ne pas taper » mais on ne peut pas demander aux gens d’être bienveillants. A eux de garder leur liberté de penser et de sentir pour appuyer sur le bouton «comportement adapté».
– Les émotions nous rattachent à nos besoins.
L’enfant a une capacité de mentalisation rationnelle faible, donc il s’appuie sur son ressenti et agit sur son environnent, pour satisfaire ses besoins. Exemple des pleurs du nourrisson.
Chez l’adulte des mécanismes permettent de négocier avec le ressenti : on coupe l’émotion, on devient rationnel, à l’extrême, froid…la pensée seule. Et dans la relation, on invite la personne en face à réagir sur le même mode. Face à quelqu’un qui n’est plus que dans l’émotionnel, pour le rejoindre, maintenir le lien, je deviens moi-même handicapé de la pensée, l’émotion prend le dessus…Il faut parfois suspendre la relation pour pouvoir de nouveau penser.
Chez une personne atteinte de maladie d’Alzheimer, le ressenti, c’est l’immédiateté. Elle réagit à des choses très fines, les humeurs, les états d’âme des gens qui l’environnent. Il n’y a pas d’intention, ni de temporalité, ni de projet mais des besoins immédiats et plus (=0) de contrôle. Et en face je ne maintiens mon identité de soignant que par la réponse que j’obtiens : si le malade ne se calme pas, je ne suis pas un bon soignant. Ainsi le patient remet en question le soignant lorsque celui-ci est ramené à uniquement l’émotionnel du patient. Le soignant doit être clair sur ce qu’il ressent, car il son ressenti est probablement en lien avec celui du patient. Il s’agit de créer un contexte, dans lequel la personne est émotionnellement reconnue.
– le langage
Les adultes disent, les enfants ressentent.
Le langage a été inventé pour mentir : le mot simplifie ce qu’il désigne. A plusieurs, on se raconte une histoire qui s’appuie sur des choses vraies, mais l’histoire ne peut pas contenir toute la vérité de ce qui se passe, en décrire tous les niveaux, toutes les complexités.
Ce que je dis prête toujours à interprétation dans sa réception. Je dis plus et parfois même autre chose que ce que je crois/veux dire. En tout cas, il y a peu de chances que je sois compris exactement comme je le souhaite. C’est la différence de cadre de référence des locuteurs qui est à la base de ce phénomène puisque « le mot n’est pas la chose qu’il désigne ».
S’il est impossible de ne pas penser ce que l’on pense, on peut toujours ajouter de la pensée à la pensée, commenter ses propres idées.
Mon identité de soignant, je ne l’obtiens que par la réponse que j’obtiens : si le malade ne se calme pas…je ne suis pas bon soignant.
L’empathie
François BALTA la définit comme la capacité à travers son ressenti d’avoir une représentation de ce que l’autre ressent.
Ce qui met en perspective :
- est- ce que ce que je ressens est l’élément moteur de mon comportement
- ou est-ce que ce que je ressens me permet de penser au comportement que je vais choisir?
- en quoi ce que je ressens vient renforcer le système de l’autre ?
François BALTA donne l’exemple de l’attitude face à cette personne particulièrement dérangeante. Je peux me donner le droit à la dissonance et lui dire gentiment « Et bien, Mme X, aujourd’hui vous êtes vraiment agaçante » ou aussi lui dire que je suis fâché. « Aujourd’hui, ça va être dur pour vous comme pour moi ». Il s’agit de rendre compte de la contradiction, sans faire porter à l’autre cette contradiction et donc d’utiliser mes ressentis projectifs plutôt que d’essayer vainement de les contrer.
On vit dans un monde où il y a des contradictions, des mensonges, heureusement on peut prendre soin de l’autre sans avoir à éliminer ces contradictions, sans s’obliger à la Vérité.
Sens du processus relationnel
François Balta nous invite ensuite à revisiter nos zones de pouvoir, de responsabilité (et de culpabilité) ?
Ce que je fais dépend de moi, j’ai une marge de manœuvre
- Je réagis selon la perception que j’ai de la situation. Nous fonctionnons le plus souvent en décryptage automatique qui emporte notre conviction.
- Je peux changer ma façon de voir et me demander comment les gens voient les choses. Quand je fais quelque chose c’est pour avoir un retour… souvent la réponse que j’obtiens n’est pas celle que j’attends : qu’est-ce que cet écart m’apprend sur l’environnement ? Quand le matériel ne marche pas, je cherche comment faire différemment ; avec les gens, si cela ne marche pas, je pense que l’autre n’a pas compris…et je fais plus de la même chose.
Mon pouvoir n’est pas de lui faire faire ce que je veux, mon pouvoir c’est de décoder, de comprendre ce qu’il comprend, pour qu’il propose quelque chose que je ne sais pas encore…. Le décodage dépend de moi.
Ensuite, il s’agit d’inventer quelque chose qui se construit ensemble, à partir du fait qu’il ne pourra pas fondamentalement changer (guérir) mais qu’il peut manifester des comportements très différents.
En approche systémique : je vois (je perçois) – je fais – qu’est-ce que je fais de la réponse ?
Comment faire avec l’altérité quand la réponse ne correspond pas aux attentes ?
Plutôt que de renoncer, comme nous le faisons souvent, à la part de choix que nous avons dans toute situation, inventons un espace un peu ludique – dans le jeu, ce n’est pas grave – On peut même jouer à qui perd gagne !